Par Angélique Mangon, le 05 juillet 2011
La sociologue montre comment la libéralisation du marché de l'énergie et l'ouverture du capital des Industries électriques et gazières transforment leur fonctionnement et peuvent menacer la sûreté des sites et la sécurité de ceux qui y travaillent.
" Le Travail sous haute tension", d'Anne Salmon : la sécurité au travail en danger"
Bien avant la catastrophe de Fukushima, le 11 mars, qui a amené la France à repenser la sûreté de ses installations nucléaires, des sociologues français avaient tiré la sonnette d'alarme. C'est le cas d'Anne Salmon, sociologue du travail et professeur à l'université Paul-Verlaine de Metz. Dans cet ouvrage, elle montre comment la libéralisation du marché de l'énergie et l'ouverture du capital des Industries électriques et gazières (IEG) transforment leur fonctionnement et peuvent menacer dans certains cas la sûreté des sites et la sécurité de ceux qui y travaillent. L'auteur avait dès octobre 2010, pointé cette dégradation de la situation dans les centrales nucléaires.
Dans cet ouvrage, les syndicalistes s'interrogent sur l'impact des nouveaux modes de gestion sur l'augmentation du nombre d'accidents sur les sites. Pour la plupart, la nouvelle organisation de la maintenance accroît les risques .
Quant aux salariés, ils soulignent le vieillissement de l'outil industriel et les dangers qui en découlent. Dans un long extrait d'entretien - l'ouvrage est essentiellement composé d'interviews complétés par une analyse de l'auteur -, un cadre de production estime que la hiérarchie, loin de la réalité du terrain, reconnaît la nécessité de la sécurité mais accorde toujours la priorité aux considérations financières. "On nous donne des contraintes de sécurité, de sûreté, mais on ne nous donne pas forcément les moyens", confie-t-il La maintenance préventive est sacrifiée. Le choix de la sécurité devient, selon l'auteur, une affaire de conscience individuelle. La sûreté n'est plus seulement une affaire technique mais est aussi soumise à l'influence de l'atmosphère dans laquelle travaillent les salariés.
Anne Salmon en vient donc naturellement à analyser les liens entre ces diverses évolutions et l'attachement des salariés à leur entreprise. Le paternalisme d'antan a laissé place à une gestion froide et distante. Ce qui a pour conséquence que les salariés ne sont plus autant dévoués à leur travail qu'autrefois.
L'action des organisations syndicales s'en trouve donc bouleversée. L'auteur explique que les syndicats doivent établir des pratiques propres à réveiller le désir des salariés du travail en commun. Mais leur tâche reste ardue. Les syndicalistes estiment avoir perdu de leur poids et de leur autorité. Le dialogue avec la hiérarchie est complexe. Certains vont même jusqu'à parler de monologue.
Pour passer au crible tous ces changements, l'auteure a mené une enquête à partir des témoignages de salariés et de syndicalistes de cinq entreprises du secteur de l'énergie : EDF, GDF Suez, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
A partir de ces entretiens, Anne Salmon a pu identifier la source des nouvelles pathologies qui touchent les industries électriques et gazières. Les différents interlocuteurs se plaignent de la centralisation de la gestion, obsédés par les gains de productivité et les rendements financiers. Un syndicaliste CGT à GDF Suez estime ainsi que la gestion de l'entreprise est passée d'une "culture technique" qui prônait une préoccupation de terrain et de qualité à une culture de "l'augmentation de l'excédent brut".
Cette centralisation, associée à une externalisation de certaines tâches confiées à des prestataires, a eu pour effet de diminuer l'autonomie des cadres sur les sites de production. La direction, d'où émanent désormais les consignes, est loin du terrain. Un éloignement qui pèse sur le travail quotidien des salariés peut parfois influencer la sécurité sur les sites.