Ethique économique

 

Pour des développements approfondis sur l'éthique économique et notamment sur les tensions entre éthique et capitalisme voir  la rubrique bibliographie  une présentation de mes ouvrages "Moraliser le capitalisme?" (CNRS Editions), "La tentation éthique du capitalisme" (Editions La découverte), "Ethique et ordre économique" (CNRS Editions) ...

 

Voir aussi la rubrique Ethique, management et nouveau capitalisme : vous y trouverez des articles en ligne illustrés par des documents d'entreprises (dans leur version intégrale) ainsi que des textes  législatifs. 

 

Ethique d'entreprise

La formation d'un nouvel esprit dogmatique

par Anne Salmon

 

Pour citer ce texte

A. Salmon "La formation d'un nouvel esprit dogmatique", Sciences et humanités en société, Paris, 04/2018, https://www.sciencesethumanites.fr

Une version plus courte de ce texte a été publiée dans  la revue Connexions sous le titre

"Néolibéralisme, nouveau management et plaisir" (Connexions 2015/n°103)  

 

 

Introduction

Au 18ème siècle le cadre de l’exploration mécaniste de la nature s’est élargi en sortant de ses domaines réservés. Il s’agit d’un premier pas vers la revendication d’une science sociale et au-delà « d’une action rationnelle a priori sur la politique.»1 Le 17ème siècle en avait posé les jalons. Descartes avait déjà entrepris de penser la morale en physicien2 laissant présager une application possible de la méthode aux affaires humaines. Helvétius, poussant cette logique jusqu’au bout permet de repérer comment face au monde chaotique qu’il sait si bien décrire, certains trouveront dans l’intérêt le principe universel permettant de relier l’univers physique et l’univers moral  afin d’arrimer la connaissance sur un socle plus stable : 

 

« C'est donc à la physique & à l'expérience que l'homme doit recourir dans toutes ses recherches: ce sont elles qu'il doit consulter dans sa Religion, dans sa morale, dans sa législation, dans son gouvernement politique, dans les sciences & dans les arts, dans ses plaisirs & dans ses peines, La nature agit par des loix simples, uniformes, invariables, que l'expérience nous met à portée de connoître; c'est par nos sens que nous sommes liés à la nature universelle; c'est par nos sens que nous pouvons la mettre en expérience, & découvrir ses secrets : dès que nous quittons l'expérience, nous tombons dans le vide où notre imagination nous égare. »3

 

Il précise : « Si l’univers physique est soumis aux loix du mouvement, l’univers moral ne l’est pas moins à celles de l’intérêt. L'intérêt est, sur la terre, le puissant enchanteur qui change aux yeux de toutes les créatures la forme de tous les objets. (…) Aussi peut on appliquer à l'univers moral ce que Leibnitz disoit de l'univers physique. (…) Ce principe est si conforme à l'expérience, que, sans entrer dans un plus long examen, je me crois en droit de conclure que l'intérêt personnel est l'unique & universel appréciateur du mérite des actions des hommes. »4


Sous de multiples formes se sont exprimées des tentatives visant à unifier l’univers physique et l’univers moral dans l’espoir d’appliquer un principe clair, simple et solide pour tracer un chemin plus assuré et guider l’action humaine dans le monde, qu’il soit naturel ou social : l’ordre spontané des économistes contemporains est une survivance de ce projet.

Le nouvel ordre économique


Deux problèmes se posent à partir de la conception moderne du pouvoir telle qu’elle se précise avec la monarchie absolue. Comment unifier la multitude et rendre gouvernable le peuple ? Comment limiter la puissance et l’arbitraire de la volonté souveraine ? Hirschman montre le cheminement par lequel l’intérêt a été mobilisé pour tenter de les résoudre : « Si l’idée que l’intérêt joue un rôle déterminant dans le comportement des hommes suscite, à son apparition, une véritable effervescence intellectuelle, c’est qu’en lui, on pense avoir découvert, enfin, ce qu’appelle un ordre social viable : un fondement réaliste. Mais un monde gouverné par l’intérêt ne permet pas seulement d’échapper aux exigences démesurées des modèles offerts par « des républiques et des principautés qui ne furent jamais vues ni connues pour vraies », il présente aussi, aux yeux des partisans de la nouvelle doctrine, un certain nombre d’avantages bien déterminés qui lui sont propres. »5 Les principaux avantages mis en avant par les auteurs du 17ème et du 18ème siècle sont de deux ordres : la promesse d’une société uniforme et prévisible d’une part,  et celle d’une société douce et paisible, de l’autre.

 

Si le prince veut conserver le pouvoir, que veulent les sujets ? Telle est la question à laquelle l’économie politique naissante apporte des réponses. Elle s’adresse avant tout aux gouvernants. Montchrestien à qui l’on attribue la paternité du terme d’économie politique au début du 17ème siècle, approfondit l’examen des problèmes formulés par Bodin. L’économie politique apparaît comme « une science » du gouvernement, des devoirs réciproques entre le peuple et le prince avec en toile de fond les nouvelles théories de la souveraineté d’une part, et les enseignements de Machiavel, de l’autre. Monchrestien fixe deux buts au gouvernement. L’un consiste en  « la gloire, l’augmentation et l’enrichissement », c’est le principal ; l’autre relève de « l’ordre, l’emploi, et l’accommodement de vos peuples. »6 La bonne administration intègre « tout le corps d’état » c’est-à-dire les « plus viles parties » et les « plus nobles », les « cachées » et les « découvertes », « puisqu’il est ainsi que de celles qui sont destinées à servir les autres sortent les labeurs plus nécessaires à son entretien et conservation »7

 

En premier lieu, il s’agit d’une recherche s’inscrivant dans le prolongement de la suggestion de Bodin qui intègre l’économie domestique au cœur du politique à partir de la formation d’une oikos publique avec puissance souveraine. En second lieu, il s’agit d’une recherche s’inscrivant dans le prolongement de Machiavel en ce qu’elle va porter sur les motivations du populaire comme objet central de l’économie politique. Or, ces deux perspectives sont inédites par rapport aux traités d’économie dans lequel la question de l’économie était principalement axée sur la bonne administration d’un domaine privé et se limitait aux mobiles du propriétaire, maître absolu en sa maison.


L’économie politique rompt ainsi avec les traités d’économie domestique d’Aristote 8 et de Xénophon 9 en plusieurs sens. Ici, la réflexion autour des mobiles de ceux destinés à servir les autres au sein de l’économie domestique fondée sur l’esclavage, n’avait évidemment pas de sens. Elle était remplacée par des questions fonctionnelles (à travers le conseil de bien traiter les esclaves, comme tout autre outil mérite un minimum d’attention pour un usage durable) ou éventuellement éthique (ces outils vivants » pouvaient à la rigueur être traités avec amitié.) Si l’accroissement des richesses reposait dans l’antiquité  pour une bonne part sur la guerre, il en va différemment chez Montchrestien qui insiste sur les moyens pacifiques d’accroitre le revenu de l’Etat.

 

« Cette sérieuse considération, écrit Montchrétien, doit, induire vos majestés à soigner diligemment la partie populaire en votre état. »10 Après avoir distingué trois classes de la société, l’ecclésiastique, la noblesse et le populaire, l’auteur explique en effet, qu’il ne s’intéressera qu’à la dernière. Ce corps, «  le plus négligeable en apparence »11, est composé de 3 sortes d’hommes, les laboureurs, les artisans et les marchands qui ont « même qualité et ressemblance de vie, de mœurs et d’humeur, d’action et de condition »12 Ce précise un mobile commun qui oriente l’action vers un but unique : « où chacun prend sa mire au profit, et tourne l’œil partout où il aperçoit reluire quelques étincelles d’utilité … »13


Montchrestien n’utilise pas encore le terme d’intérêt, mais il développe à partir des notions d’utilité et de profit, l’idée selon laquelle la recherche de l’avantage matériel privé, lorsqu’il n’est pas entravé, est un moyen de satisfaire l’insatiabilité de la partie populaire en la détournant d’autres aspirations estimées plus dangereuses et plus imprévisibles pour le pouvoir. Parlant des laboureurs, il écrit : « Ils aiment mieux le profit que l’honneur ; et partant ne sont point capables d’ambition. Pourvu qu’on leur permette de vaquer à leurs affaires, qu’on ne leur arrache point par la violence, ils sont patients de toute domination. » 14
Ce mobile trouvera une expression simple et tranchée : « La noblesse est la préférence de l’honneur à l’intérêt, la bassesse, la préférence de l’intérêt à l’honneur.»15


Le goût de l’enrichissement finit par être généralisé : la recherche du profit apparaitra comme la chose du monde la mieux partagée offrant un trait d’union entre les gouvernants et les gouvernées tout en introduisant un dénominateur commun entre les différentes classes de la société. L’universalité de l’intérêt donne à ce principe un caractère uniformisant qui participe de l’assurance qu’il peut être le point d’appui d’une prévision des conduites par la constance et la persistance avec laquelle il exerce chez tous les hommes, sa puissance d’attraction. La diversité des caractères s’efface à partir du  moment où la notion représente l’espoir d’avoir découvert un fondement réaliste pour l’ordre social : « L’avarice, ou le désir du gain, écrit Hume, est une passion universelle qui agit en tout temps, en tout lieu et sur tout le monde. »16 Cette idée est la base d’une prévision politique informée. Elle est confortée par la thèse du doux commerce selon laquelle l’amour de l’argent et la recherche de l’intérêt matériel sont des occupations inoffensives.


Selon Hirschman, les élites politiques, sans se faire d’illusion, ont accueilli l’idée qu’il pouvait être utile de valoriser les « activités lucratives » non pas parce qu’elles représentaient la « meilleure » des conduites en société, mais parce qu’elles offraient un avantage politique appréciable : « celui d’ « occuper » les intéressés » et tout particulièrement le peuple et de l’empêcher ainsi de « faire des bêtises »17 tout en mobilisant un principe d’uniformisation sociale susceptible de s’introduire, sans trop de heurt, au cœur de la société. La personnalité humaine mue par une « inoffensive avarice » certes méprisée, est devenue la clef de voute d’une société mieux gouvernable. Cette réduction a alimenté l’espoir d’une maîtrise des conduites humaines sans avoir à recourir à l’action volontariste du roi dont les effets semblaient incertains. En ce sens, il est un principe politique avant d’être un principe économique, un principe d’uniformisation avant d’être un principe de différenciation. 18


A la suite d’Hirschman, il est possible d’assigner à la thèse de Weber une place plus relative pour expliquer le déclin des idéaux de l’époque féodale et l’apparition d’une mentalité économique inédite. Si l’économiste admet que l’éthique protestante ait pu jouer un rôle dans l’histoire du capitalisme, contrairement au sociologue, il soutient : « que la diffusion des structures capitalistes résulte en grande partie de la recherche non moins acharnée d’un moyen d’éviter l’effondrement de la société à une époque où celle-ci se trouvait constamment menacée dans ces fondements mêmes par la précarité des conditions dans lesquels se maintenaient l’ordre intérieur et extérieur. »19

 

En effet,  la sortie du Moyen Age, n’est pas la traversée idyllique qu’on se plait à imaginer, sorte de renouveau de l’occident qui réveillé de son engourdissement serait passé des ténèbres à la lumière, de l’obscurantisme à la raison, de la brutalité à l’apaisement : les guerres civiles font rages, les déchirements religieux sont sanglants et la clarté tant admirée est brouillée par l’épaisse fumée des canons. Cette menace incitait à reconsidérer le système de valeurs pour le faire reposer sur d’autres fondements que ceux conduisant les peuples à s’entre-déchirer. Cette période, comme on l’a aperçu, marquée par les conflits entre les Eglises faisant de l’Europe le terrain de guerres sanglantes, a cherché à établir un principe concurrent des dogmatismes religieux dans un temps où  l’entreprise d’uniformisation des souverains par l’intermédiaire de l’administration centralisée se heurtait aux résistances locales. L’ancien régime demeure une société composite dans laquelle les pays et leurs particularismes mais aussi les corps intermédiaires déterminent le cadre de la vie sociale où « le principe de solidarité joue un rôle clef dans chaque structure. »20


La transmutation des valeurs opérée à partir de la Renaissance ne peut pas être réduite  au combat entre les valeurs « traditionnelles », celles de  l’honneur et de la gloire, portées par les catholiques et les valeurs « modernes », celles de l’intérêt matériel, portées par les protestants. Mais elle ne peut pas non plus être envisagée comme la victoire « d’une idéologie autonome et rebelle »21 sous la bannière de laquelle se rangeait la bourgeoisie, contre une éthique dominante dans laquelle se reconnaissait l’aristocratie. Cette idéologie rebelle ne s’identifie pas sans torsion à la bourgeoisie contestataire, celle de la révolution de la démocratie, dont elle serait le fer de lance idéel. Loin d’être en rupture avec l’ordre monarchique, elle est appelée à travailler la société dans un contexte marqué par l’hétérogénéité des territoires et la diversité de l’espace administratif, dans un temps où le maillage des corps intermédiaires imposent « une infinité de contre-pouvoirs loués par Montesquieu. »22 Modernes, sans doute les valeurs de la société commerçante le sont-elles, mais elles n’en n’ont pas moins été assignées au rôle d’instrument des pouvoirs en place, qui pour se conserver avaient besoin de se réformer. Certes, les premiers économistes ont entendu fixer des bornes à la souveraineté illimitée du monarque mais sans remettre en cause les fondements de ce pouvoir. Comme le rappelle Habermas, les physiocrates tout en appelant à l’autonomie législative de la société civile par rapport aux interventions de l’Etat, n’en sont pas moins les apologistes d’un régime absolutiste.23


Dès son apparition, l’évaluation positive de l’ordre économique a fait toutefois l’objet de reproches récurrents. Ainsi par exemple lorsque Montesquieu à l’appui de la thèse du Doux commerce affirme que « Le commerce (…) polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.» Il ajoute au même endroit, qu’il « corrompt les mœurs pures », précisant un peu plus loin : « Nous voyons que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donne pour de l’argent. »24
Cette suspicion, dont on pourrait multiplier les exemples, est importante à relever. Elle permet de restituer une histoire moins linéaire qu’il n’y paraît, dans laquelle différents principes d’uniformisation sont entrés en tension. Y compris chez les physiocrates, d’autres propositions, de nature juridique et morale ont été formulées,25 symptôme que la confiance dans le principe de l’intérêt certes, généralisée, n’en n’était pas moins fragile. Turgot en fournit une bonne illustration : « La cause du mal, Sire, vient de ce que votre nation n’a point de constitution, c’est une société composée de différents ordres mal unis, d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très peu de liens sociaux, où par conséquent presque personne n’est occupée que de son intérêt particulier exclusif … »26 Turgot poursuit : « Il y a des méthodes et des établissements pour former des géomètres, des physiciens, des peintres, il n’y en a pas pour former des citoyens ! Il y en aurait si l’instruction nationale était dirigée par un de vos conseils, dans des vues politiques, d’après des principes uniformes. » 27  « Il n’y a présentement qu’une seule instruction qui ait quelque uniformité, c’est l’instruction religieuse, encore cette uniformité n’est-elle pas complète. »28 L’instruction « morale et sociale » vise le peuple. Elle a pour but de combattre « l’esprit de désunion » qui, selon Turgot, diminue prodigieusement la puissance royale. Il s’agit de  forger « un esprit d’ordre et d’union qui fasse concourir les forces et les moyens de votre nation au bien commun.» 29 Cette réflexion sur la formation de « l’intérêt commun »30 place encore l’uniformité au cœur des interrogations sur l’art de gouverner. Une crainte agite tout particulièrement les théoriciens. Celle du dépassement des intérêts particuliers par la formation d’intérêts  collectifs et progressivement la revendication d’une volonté populaire susceptible de fonder une souveraineté populaire.

 

De nombreux textes s’inquiètent bientôt  du glissement de la monarchie à la démocratie : « On ne peut se dissimuler grande vérité, c’est que si on ne se hâte de moraliser le peuple, avec les principes qu’on lui a donné, tôt ou tard, il ne cherche à jouir de sa souveraineté et comme les idées métaphysiques se confondent aisément dans sa tête, il n’est pas douteux que souveraineté et propriété ne lui paraissent être la même chose, D’après ce principe, le premier séditieux qui voudra le mettre en avant, se servira de ce prétexte, et qui sait, dans cette hypothèse, où il s’arrêtera ? On voit donc combien il est indispensable d’instruire le peuple, de rectifier ses idées et sa morale. Si les petits hommes ont besoin d’être éclairés, on ne doit pas moins travailler à l’éducation des grands enfants ! sans cela, le corps politique avant dix ans est entièrement dissout. Législateur ! C’est encore votre ouvrage. »31

 

Paraissant s'inscrire dans le prolongement de cette répartition des rôles, le libéralisme contemporain joue sur l’opposition entre d’une part, l’uniformisation tendance profonde de l’action de l’Etat centralisé dont le principal outil serait la coercition légalisée conduisant à l’égalisation et d’autre part, la différenciation marchande ouverte sur la décentralisation, dont les mécanismes du marché seraient les garants permettant d’avancer vers un régime de liberté. Cette opposition nette et tranchée s’affirme dans l’ouvrage Capitalisme et liberté de Friedman qui tout en paraissant parler de la stricte activité économique, par un effet de généralisation à prétentions universalistes vise assez rapidement l’ensemble des activités sociales: « Il n’y a fondamentalement que deux manières de coordonner les activités économiques de millions de personnes. La première est la direction centralisée, qui implique l’usage de la coercition : c’est la technique de l’armée et de l’Etat totalitaire moderne. La seconde est la coopération volontaire des individus : c’est la technique du marché. La possibilité d’une coordination assurée grâce à la coopération volontaire repose sur cette proposition élémentaire – quoique fréquemment niée – que, dans une transaction économique, les deux parties sont bénéficiaires, pourvu que cette transaction soit bilatéralement volontaire et informée. Une coordination sans coercition peut par conséquent être le produit de l’échange. Le modèle d’une société organisée grâce à l’échange volontaire est l’économie libre de l’échange et de l’entreprise privée, c’est-à-dire ce que nous avons appelé le capitalisme de concurrence. »40 La promesse que promulgue Friedman consiste à affirmer que le marché  peut « permettre l’unanimité sans uniformité. »41 Est-il si évident qu'il tienne ces engagements ? 


L'ordre spontané et l'entreprise managériale


Bien qu’il semble parfois ne s’occuper que d’économie, le néolibéralisme s’inscrit dans la veine de l’économie politique qui dès sa naissance, a promis au prince un peuple paisible et laborieux capable d’augmenter le bonheur public en restant concentré sur ses intérêts privés. Hayek, l’un des principaux théoriciens, s’appuie sur cette tradition qu’il bouleverse de fond en comble en revenant sur l’optimisme de l’Ecole libérale dont Gide et Rist situent l’apogée du milieu du19ème siècle. C’est à cette période entre 1830 et 1850 qu’ils datent « la conjonction de la liberté politique et de la liberté économique, qui désormais furent confondues dans un même culte et portèrent un seul et même nom : le libéralisme. »42 Dés lors, la liberté économique (du travail et des échanges) au même titre que la liberté politique (de la conscience, de la presse) pouvait apparaître comme une conquête « de la démocratie et de la civilisation. » 43


Si l’idéologie néolibérale cherche toujours à imposer le système capitaliste comme unique horizon de l’ordre social viable, elle ne cherche pas à le concilier avec une expansion indéfinie des libertés démocratiques. Le néolibéralisme est porteur d’un projet politique. Hayek le formule de manière explicite et c’est en ce sens qu’il est intéressant : l’un des objectifs est d’immuniser l’économie de marché contre la démocratie de masse. Pour ce faire, il conteste les conceptions téléologiques de l’action humaine au profit d’un principe de concurrence généralisée comme stimuli de l’activité rationnelle sans fin. 44


Dans un contexte où la souveraineté change durablement de mains en passant de celles du  prince à celles du peuple, d’autres solutions seront proposées. Parmi celles dont l’influence est décisive dans la seconde moitié du vingtième siècle, les préconisations de Hayek mérite une attention particulière. Elles touchent le coeur même de la souveraineté : le concept de volonté. En droite ligne de l’économie politique qui, sans s’être toujours prononcée en faveur de la démocratie, a formulé la promesse d’une amélioration de l’art de gouverner, Hayek assure que son système procède d’une même uniformisation des comportements. Mais, attaquant le capitalisme d’après-guerre qui s’était encastré dans le système institutionnel démocratique, il adjoint une nouvelle clause : la nécessité de dissocier les institutions démocratiques de la formation de la volonté populaire dont il conteste la souveraineté illimitée dans le cadre du fait majoritaire. L’Etat, vidé de sa substance, pourra être conçu comme « une organisation parmi les autres » et les citoyens, des individus qui d’ordinaire « n’ont pas à se soucier d’autre chose que de leurs propres objectifs concrets. »45


Dénonçant le caractère « illimité de la démocratie actuelle »46 il soutient qu’« une démocratie sans limites pourrait être quelque chose de pire que des gouvernements limités autres que la démocratie. »47 Ce discours contre les «excès de la démocratie» qui vise à la mettre en question, à la « constituer comme un problème » et « à la redéfinir »,48 n’est pas isolé. Dans le rapport de la Commission Trilatérale, le sociologue des organisations Crozier, ainsi que Huntington et Watanuki, soulignaient dès 1975 « les limites potentiellement désirables à l’extension indéfinie de la démocratie. »49 Aussi, lorsque dans cette veine, les adeptes de ces doctrines clament vouloir étendre ce régime à la terre entière, leur bonne foi ne fait pas doute, la question demeure de savoir ce qu’ils entendent par là.


La critique ne porte pas uniquement sur le rôle de l’Etat. Selon Hayek, les groupements de travailleurs, les unions syndicales et les associations ont des moyens d’action efficaces pour faire pression sur les gouvernements afin d’obtenir qu’ils se chargent de la régulation du marché.50 Ces groupements dont ils redoutent la puissance doivent être affaiblis. Les associations ouvrières sont particulièrement visées, mais en creux, ce sont toutes les initiatives populaires associatives qui sont suspectées d’être les leviers d’une démocratie illimitée. Le néolibéralisme opère dans une double direction : il s’agit d’une part de réformer l’Etat afin que les décisions publiques soient soustraites à l’influence des intérêts organisés. Il s’agit d’autre part, de briser les collectifs afin d’étouffer les contestations. L’affaiblissement de l’Etat va de pair avec l’affaiblissement des groupements populaires dans ou hors du travail.


Au niveau macro, Hayek procède à une attaque en règle « de la malencontreuse » introduction de la « « volonté » dans l’usage politique ».51 Ce qui est en jeu c’est le fondement du pouvoir, sa légitimité et sa finalité. C’est à travers la déconstruction de cet usage attribué à Rousseau qu’il entend remettre en cause l’idée de souveraineté : « La conception de la souveraineté écrit-il, est fondée sur une construction logique trompeuse, qui part du postulat que les règles et institutions existantes dérivent d’une volonté unanime cherchant à les instaurer. » 52


La souveraineté illimitée revendiquée par l’absolutisme au 16ème siècle a été transférée du monarque au peuple, ce qui, selon lui, engendre une démocratie illimitée conduisant à la tyrannie de la majorité. Il ne s’agit pas uniquement de borner le pouvoir royal comme le préconisait le libéralisme lorsqu’il il était confronté à l’absolutisme. Il s’agit de vider la politique de l’intérieur. Ainsi, dans un contexte fort différent de celui qui a vu naitre le libéralisme économique, Hayek, dans un temps où au moins en occident, les démocraties sont solidement enracinées, introduit une idée décisive sur laquelle s’arrime la pensée néolibérale : « Si l’on demande où réside, dans un tel dispositif, la « souveraineté », la réponse est qu’elle n’est nulle part – ou du  moins qu’elle ne réside temporairement qu’au niveau de l’organisme chargé de fabriquer ou d’amender la Constitution. »53


L’objet n’est pas de discuter des critiques contemporaines de la souveraineté qui sont multiples et ne vont pas toutes dans le même sens, mais de rapporter celle-ci au problème de la volonté humaine et de la démocratie limitée. Hayek prône une évacuation généralisée des perspectives téléologiques, pour bâtir une société épurée du vouloir humain au sein de laquelle l’ordre spontané du marché appelé aussi ordre auto-généré stimulera la création spontanée d’organisations « auto-générées ». L’action humaine finalisée est considérée comme une erreur anthropomorphique.  Cette erreur, écrit-il, est : « incluse dans le fait de dire que la Société « agit » ou « veut » ceci ou cela. (…) c'est-à-dire dans le fait de se « représenter le résultat de processus spontanés comme s’il s’agissait d’opérations dirigées par une certaine « volonté », de résultats produit à dessein, ou susceptibles de l’être » tendance ancrée, selon lui, dans la « structure de la pensée primitive ». 54 Il combat en tout premier lieu la justice sociale à l’horizon de l’action démocratique et la liberté lorsqu’elle est définie, ainsi que le fait Dewey, comme « le pouvoir effectif de faire des choses déterminées ».55


Au niveau plus micro, Hayek a fort bien compris que l’action publique s’alimente des actions et des volontés collectives issus de groupes dont l’influence morale a des effets revendicatifs puissants sur le plan de la justice sociale. Aussi, toutes les actions humaines volontaires émanant « de l’organisation délibérément promues d’unités d’intérêts collectifs » sont suspectées de paralyser le jeu des forces spontanées du marché. « Il n’est pas encore généralement reconnu, affirme Hayek, que dans notre société actuelle, les véritables exploiteurs ne sont pas les capitalistes égoïstes, ni les entrepreneurs, ni en fait les individus pris isolément, mais des organisations qui tirent leur puissance de ce que l’on reconnaît une valeur morale à l’action collective et au sentiment de loyauté de groupe. C’est ce préjugé favorable incorporé dans nos institutions, qui donne aux intérêts organisés une prépondérance artificielle sur les forces du marché ; » 56


La critique de l’action humaine finalisée emporte avec elle les « théories constructivistes des Utilitariens qui font dériver les règles aujourd’hui en vigueur du fait qu’elles servent le plaisir de l’individu » 57 Ce libéralisme est jugé totalement erroné. Pour Hayek le plaisir n’est pas un but ni même aujourd’hui un signal : « J’ai déjà signalé que le plaisir que l’homme  est conduit à rechercher n’est évidemment pas la fin que sert l’évolution, mais seulement le signal qui dans les conditions primitives amenait l’homme à faire ce qui d’ordinaire était nécessaire à la préservation du groupe ; or, dans la situation actuelle, ce signal peut n’y être pas adapté. » 58
Dans la société abstraite formée sur le socle du marché, ni la justice, ni le bonheur, ni le plaisir, ni même les besoins, ne peuvent être les biens vers lesquels tendrait une quelconque volonté humaine qu’elle soit collective ou non. L’action individuelle se rapporte uniquement à des règles et des signaux abstraits et non à des buts communs susceptibles de former un ciment pour la société : « Dans un ordre économique comportant une division du travail  de très vastes proportions, il ne peut plus s’agir de poursuivre des objectifs communs concrètement perçus mais de se guider seulement sur des règles abstraites de conduites individuelles… »59 Au couple volonté générale/intérêt général faisant miroir au couple volonté particulière/intérêt particulier, il entend substituer un nouveau couple concurrence/intérêt individuel.


La concurrence est un élément central de l’édifice. Hayek renverse toutefois les positions classiques. Sa thèse ne reconduit pas l’idée selon laquelle globalement les participants au marché sont rationnels ce qui fait du comportement rationnel une prémisse de la théorie économique. Elle repose « au contraire sur l’idée que ce sera généralement à travers la concurrence qu’un petit nombre d’individus relativement plus rationnels mettront les autres dans la nécessité de devenir leur émules en vue de prévaloir. » 60 La concurrence précède la généralisation des conduites adaptées au marché, elle en est même une condition. Ce stimuli est un ressors essentiel pour contraindre l’action et l’orienter. Indépendamment du vouloir de chacun, il est ce qui « oblige les gens à agir rationnellement pour pouvoir subsister.»61 L’action humaine peut ainsi être conçue à partir d’un principe non téléologique et apolitique puisqu’il n’est plus nécessaire de se représenter un bien commun, un idéal à atteindre. Ceci vaut pour l’individu mais aussi pour la société ainsi qu’Hayek le précise: « L’on n’a pas encore assez largement reconnu que l’ordre actuel de la société s’est, pour une grande part, développé non par dessein mais parce que les institutions les plus efficaces ont prévalu dans un processus concurrentiel. »62


Ce qui est vrai du système économique, l’est aussi de la culture, de la morale et de toutes les institutions humaines qui ne sont pas le résultat conscient de la raison humaine occupée à créer des institutions. La société abstraite fonctionne à partir de règles de conduites abstraites assurant un ordre tout aussi abstrait au sein duquel la concurrence stimule et sélectionne les initiatives individuelles, sans leur ouvrir « aucune créance sur des biens particuliers. »63 Hayek pressent que le caractère abstrait de la société est la faiblesse du néolibéralisme. La société de marché repose sur un ordre économique impersonnel et uniformisant dans lequel l’individu est contraint d’apporter anonymement sa contribution. Or comme il en a conscience « Cela ne satisfait pas ses besoins émotionnels, personnels. » 64 Selon le propre constat de Hayek, l’équilibre au profit de l’ordre spontané est instable. Comme c’est souvent le cas des idéologues, il laisse entrevoir le biais par lequel il peut être combattu. La restauration de la démocratie illimitée est sa principale crainte : « Dans une société où l’esprit d’entreprise ne s’est pas encore répandu, si la majorité a le pouvoir d’interdire ce qui lui déplaît, il est bien peu vraisemblable qu’elle permette à la concurrence de survenir. Je doute qu’un marché fonctionnant selon ses propres règles ait jamais pu faire son apparition dans une démocratie illimitée, et il semble pour le moins probable que la démocratie illimitée le détruira là où il s’est développé. Avoir des concurrents, c’est toujours quelque chose de gênant, qui empêche de vivre tranquille ; »65


Du point de vue de la gouvernance néolibérale, la critique de la société abstraite au nom du bonheur n’a pas grand sens puisque comme l’avoue Hayek, il ne s’agit pas de justifier l’ordre du marché par l’augmentation tendancielle des plaisirs mais de le préserver en refusant aux intérêts des producteurs organisés « la possibilité de s’opposer à ce qui leur déplaît ». Pour ce faire, en cas de résistance « au seul intérêt permanent de commun à tous les membres de la société qui est de bénéficier d’une adaptation continuelle à des évolutions imprévisibles » il s’agit  d’accumuler « les pressions suffisantes ».66 La limitation des puissances collectives de contestation est constitutive du projet de limitation de la démocratie, condition de l’institution de l’ordre du marché. Pour quel résultat ? Hayek a fort bien compris que cette question était pénible au néolibéralisme aussi, il préfère trancher rapidement : « L’on ne peut donc dire de la concurrence, pas non plus que d’aucune autre sorte d’expérimentation, qu’elle conduise à une maximisation de quelque résultat mesurable.» 67


Les résultats de la concurrence, socle sur lequel Hayek entend pourtant bâtir la société de marché, sont tout compte fait très improbables. Ce système conduit simplement, et uniquement dans des « conditions favorables » sur lesquelles il ne dit rien, « à une meilleure utilisation des talents et des connaissances qu’aucune autre procédure connue. » S’il faut malgré tout créditer le néolibéralisme d’être rationnel en finalité, deux fins sont nettement identifiables : la limitation de la démocratie et l’illimitation du marché. Sur ce plan, il faut reconnaitre, au moins pour le moment, qu’il peut se prévaloir de quelques réussites.
La socialité concurrentielle ainsi que l’annonçait Hayek, ne suscite ni satisfaction, ni joie, au contraire elle est source de déplaisir. Prévenues, les directions des grandes entreprises ne peuvent compter sur de tels mobiles pour emporter l’adhésion des salariés. Face au changement permanent que l’ordre spontané du marché exige, il leur faut lever les résistances par des « pressions suffisantes » et bloquer l’action des puissances collectives contestataires.


L’un des terrains privilégiés de l’expérimentation d’une « gouvernance » fondée sur le couple intérêt/concurrence est l’entreprise « modernisée ». Le management se présente ainsi comme un nouvel « art de gouverner les hommes et les choses. »68 La rupture avec le capitalisme militaire et social dont parle Sennett69 est consommée au point que les grandes entreprises fordistes qui en étaient le fleuron sont devenues des marchandises que l’on achète et que l’on revend entière ou morcelée. Brisant les organisations traditionnelles de production, la nouvelle gouvernance s’est orientée vers une structure réticulaire composée des maisons mères avec leurs filiales, leurs entreprises sous-traitantes. Cet éclatement de l’entreprise a eu pour conséquence de multiplier les transactions marchandes en introduisant une médiation monétaire (artificielle ou non) dans les relations de travail. La multiplication des rapports de sous-traitance en a été l’un des vecteurs puisque dans ce cas, la relation repose sur un échange commercial. L’externalisation des activités a provoqué une augmentation des rapports contractuels en réduisant les rapports de coopération. Ce modèle est désormais décliné en interne. Cela signifie que les échanges entre les services ont tendance à être encadrés par des rapports contractuels. L’ensemble des opérations fait parfois l’objet d’une traçabilité écrite sous le contrôle d’une structure en charge d’évaluer la qualité de la prestation. Ces changements ont été menés plus ou moins frontalement, avec, ces dernières années, une accélération perceptible. Même s’ils ne s’imposent pas au même rythme dans toutes les entreprises, ils témoignent d’une même logique de déliaison dès que les unités sont sommées d’entretenir la fiction d’un marché interne et que leur performance est stimulée par l’aiguillon de la concurrence. Sur ce plan, l’évaluation, le contrôle et la traçabilité du travail sont des éléments essentiels puisqu’ils permettent, naturellement au nom de l’efficacité et aujourd’hui des risques environnementaux ou de santé, d’uniformiser les conduites afin de les rendre comparables les unes aux autres. Comme le souligne Bardelli, la nouvelle organisation implique des formes de management « par objectifs individualisés assorti de l’évaluation quasi permanente des résultats individuels ». Beaucoup plus qu’une simple évaluation du travail réalisé, c’est une « démarche insidieuse pour les procédures de travail à venir.»70


L’uniformisation par la mesure au regard de critères « objectivables » c’est-à-dire quantifiables, est la condition de l’institution de la concurrence comme norme d’action et de l’intégration de chacun (individus, services) dans le jeu. La compétition se généralise pour deux raisons essentielles : d’une part, il est attendu d’elle qu’elle finisse par contraindre, malgré le déplaisir éprouvé, l’ensemble du corps social à adopter des comportements adaptés au système fondé sur l’ordre spontané du marché. Il s’agit donc de mettre en œuvre l’idée selon laquelle la concurrence est le meilleur dispositif de sélection des comportements sociaux. D’autre part, le système de compétition en aménageant la guerre économique de chacun contre chacun effrite les coopérations fondées sur la  solidarité. Celle-ci se disloque aussi sous l’effet de l’évacuation progressive des actions volontaires finalisées autours de biens jugés estimables, au profit d’activités stimulées quasi-mécaniquement et cadrées par des règles abstraites. On assiste ainsi à un recul des capacités à forger des projets communs supposant un minimum d’accord sur les fins et, en même temps, à la multiplication d’objectifs concrets, spécifiés et quantifiés, dont la réalisation est soumise à l’évaluation hiérarchique.


Ces dispositifs reposent sur le présupposé que l’homme au travail peut agir sans idéaux, sans désir, sans plaisir, juste pour assurer sa survie dans un système de froid calcul qui exige d’avoir l’œil rivé sur les règles et les signaux abstraits que les entreprises mettent désormais à la disposition des salariés (foisonnement d’indicateurs, de tableaux de bord etc.) La construction du système de concurrence repose sur une conception de l’action sortie de l’imaginaire néolibéral qui, delà des discours, assume pleinement le déplaisir. Si le management n’est pas en reste pour stimuler la compétition,  il n’est pas en manque d’imagination pour faire vivre l’esprit de démocratie limitée néolibérale ainsi que le rapporte un salarié du groupe français EDF : « Un exemple concret aussi, c’est de vouloir mettre au niveau du centre d’appel des lapins, des hamsters, des choses comme ça. C’est ce qu’on retrouve dans des classes de maternelle et nulle part ailleurs. Sur le site où j’étais, il y avait une boîte à idée pour choisir quel type d’animal souhaitaient les agents. Il y avait eu de tout au départ, souris, rats, chats… Après, le choix c’est porté sur deux hamsters. Et là, ça a bloqué carrément parce qu’il y a une partie de la population de conseillers qui a réagi.»71


Ces techniques suscitent la honte de nombreux salariés. Comment imaginer que ces dispositifs puissent mobiliser des adultes ? Mais est-ce là le véritable but ? Ces méthodes sont infantilisantes et dégradantes. C’est ce qui en est dit. Et si ces pratiques humilient, comme il n’y a pas de raison de toujours suspecter le management de ne pas être rationnel par rapport à certains objectifs concrets, il n’y en a pas non plus de penser qu’elles ne sont pas faites en partie pour cela : contraindre les salariés à des manifestations collectives de soumission à l’insanité. Comme on le sait, la solidarité ne suffit pas à la révolte, la dignité est tout aussi nécessaire. Si l’humiliation brise le courage, les témoignages de mépris, loin d’être l’indice de la bêtise managériale, peuvent être une stratégie politique. Comment s’indigner lorsque l’on se sent indigne ? Alors, la mort dans l’âme, on va apporter de la salade aux hamsters.


Si la souffrance psychique aiguillonne le travail 72 elle produit aussi de la soumission. Les directions exigent toujours plus de subordination. L’intimidation est fréquente et les contrôles collectifs ou individuels sont poussés. Une bureaucratie néolibérale que Hibou 73analyse de manière précise, se développe effectivement. En rappelant la thèse de Foucault selon laquelle « le marché est investi d’une réglementation extrêmement proliférante et stricte »,74 elle souligne qu’« un art de gouverner fondé sur le marché » ouvre la voie à « une mise en conformité de l’ensemble de la société aux principes de l’entreprise, de la concurrence et du marché. » 75 On peut se demander d’ailleurs si la mécanique ne s’emballe pas en développant un système impersonnel de règles et de signaux abstraits en vue de normaliser le travail dans un contexte organisationnel non répétitif et soumis à l’incertitude. 76  L’entreprise-machine et l’entreprise-marché se fondrait en une monstruosité organisationnelle qui laisse en suspend la question : qu’est-ce qui fait qu’on obéit à la règle ?


Les salariés soumis à cette bureaucratie uniformisante, interrogent de plus en plus son efficacité du point de vue de la productivité et même de la rentabilité. Mais l’objectif est-il là ?  La réponse n’est pas évidente. La logique de la performance largement publicisée par les directions peut masquer une autre logique : à côté du mot d’ordre « le profit pour le profit» se dessine un mot d’ordre moins avouable : « le pouvoir pour le pouvoir». La fragilisation des collectifs de travail que les entreprises justifient par « l’adaptation nécessaire mais difficile du corps social », n’a pas un but strictement économique, il est aussi politique.


Les directions jouent un jeu dangereux car le fondement de leur autorité repose de plus en plus sur l’argument d’une nécessaire adaptation au marché. Du coup, la contrainte opère effectivement, mais elle comporte d’extraordinaires faiblesses. Agir sous la menace ne dure que le temps où la force s’exerce. Dès que l’on peut s’y soustraire, on s’en échappe. Faute de légitimité, cette soumission suscite des rancœurs profondes. Les salariés y perdent non seulement leur liberté mais aussi l’estime d’eux-mêmes. Le sentiment d'impuissance qui en résulte peut se métamorphoser en violence : violences que l'on retourne contre soi (malaise, souffrance et parfois suicides), violences à l'égard des autres (harcèlements, agressions), mais aussi, de façon plus discrètes mais non moins préoccupantes, violences contre l'outil de travail (sabotage individuel ou en tout petit groupe).


L’entreprise néolibérale a tout d’abord cru à la fiction selon laquelle les rapports humains peuvent se développer sur la base d’une autorégulation marchande. Pour aller dans ce sens elle a détruit les dispositifs de régulations sociales sur lesquels reposait la stabilité des entreprises intégrées et ce, malgré (ou grâce) aux conflits ouverts. Elle a conçu de nouveaux dispositifs visant à soutenir les rapports de concurrence ceux-ci devant à terme sélectionner les comportements sociaux en contraignant l’ensemble du corps social à les adopter. De fait, elle a entraîné une dérégulation des rapports sociaux et un effritement des coopérations horizontales. En ce structurant toujours davantage sur cet ordre économique, elle a bloqué les capacités du corps social à secréter de nouvelles formes de régulation. C’est tout particulièrement le cas, lorsque les entreprises organisent une instabilité perpétuelle : frénésie de changement, restructuration systématique des services, mobilité interne, déplacement des cadres, flexibilité de tout genre, modification  rapide des méthodes de travail etc.


Les salariés se trouvent placés dans un mouvement de « transitions permanentes » sans qu’ils aient les moyens de formuler des accords de travail au plus près des pratiques : chacun d’eux peut puiser des ressources dans son propre système de normes mais cela ne forge pas une éthique professionnelle. Les salariés ne sont pas devenus sans foi ni loi, à la limite bien au contraire. Simplement, une éthique personnelle reste une éthique individuelle et, si elle est indispensable, elle n’est pas suffisante pour restaurer une éthique collective vivante qui n’est pas une somme de valeurs mais le fruit d’un accord fait de micro-ajustements expérimentés jour après jour. Ce long processus exige des marges de manœuvre et donc de la liberté. 


L’entreprise néolibérale pourrait bien avoir internalisé les tensions entre capitalisme et démocratie. L’hypothèse revient à considérer que les organisations tournent résolument le dos au compromis fordiste de la période des Trente glorieuses pour mettre en place des dispositifs de gouvernance dont l’enjeu, par-delà la prétendue efficacité économique, est de s’assurer un pouvoir de moins en moins partagé. Par petites touches successives, par micro changement, pierre par pierre elles ont démantelé les fondements sur lesquels reposait cette puissance : la fragilisation des collectifs de travail engendre celle des collectifs de lutte. L’entreprise n’a toutefois pas mesuré l’importance de ces groupes en termes de soutien à la motivation quotidienne: ces collectifs exerçaient fréquemment un rôle de relais, non pas dans le sens d’une courroie de transmission des injonctions patronales, mais dans le sens de la préservation d’une socialité vivante que les directions ne contrôlaient pas tout à fait. Les organisations s’alarment depuis quelques temps déjà des désengagements, des déloyautés et des inconstances d’autant plus qu’elles constatent qu’ils touchent aussi les cadres. Assez rapidement, elles ont cherché à redoubler l’ordre spontané du marché par une régulation éthique. En effet, il est vite apparu que, par de là le déplaisir que pouvaient ressentir les salariés, l’entreprise ne pouvait se développer dans cette situation d’anarchie. L’ordre spontané  du marché n’a pas tenu ses promesses en matière de discipline sociale. Le déficit de régulation a conduit les directions à redoubler « l’autorégulation » marchande par une « éthique managériale » dont elles espéraient l’adhésion « spontanée » des salariés.

Le retour des moralisateurs


Dès les années 1990, la plupart des grands groupes ont mis en place des dispositifs articulant charte, code déontologique, accord de responsabilité sociale, code de conduite, etc. qu’à tort, trop souvent, on analyse séparément. Sans être totalement abandonné, le discours séducteur des premiers temps avec son exaltation de valeurs positives (respect de soi, des autres, authenticité, sincérité, audace, solidarité etc.) et son incitation à une démarche réflexive pour les individus en « quête de sens » n’est plus jugé suffisant. Les « valeurs » et les « principes » font l’objet de décrets d’application consignés dans un nombre incalculable de documents qui fixent de manière plus précise et surtout plus coercitive les comportements attendus. Des exemples puisés dans de nombreux secteurs d’activité étaient possibles. Pour des raisons de cohérence, nous nous concentrons ici sur le secteur des mines et de l’énergie. Dans le code éthique du groupe minier brésilien Vale, il est précisé :

“Violations of the provisions of this Code, or of the company’s rules and disciplinary guidelines, will result in subjecting the offenders to disciplinary measures, including warnings (verbal or formal), suspension and dismissal.” 77
Each of the individuals mentioned above must sign an Acceptance and Commitment Term, in the form attached hereto, which will be filed at the company’s headquarters for so long as the signatory works for the company, and for at least five years after the relationship of the signatory and Vale is terminated.”78
Dans le même esprit, le Code of Ethics and Business Conduct79 du groupe américain Exxon mobil souligne : « Failure to behave honestly, and failure to comply with law, the Corporation's policies, and the Corporation's internal controls may result in disciplinary action, up to and including separation.”

Ne faisant exception, le code de conduite du groupe français Total formalise les « principes éthiques » et les décline au niveau des « prises de décisions quotidiennes ».

« Notre éthique, nos valeurs
Respect, responsabilité et exemplarité : des valeurs exigeantes, qui sont les nôtres chez Total. (…)
Travaillons conformément à nos valeurs. C’est notre Comité d’éthique qui veille à l’application systématique de nos principes d’action, formalisés dans notre Code de conduite. Nous faisons de nos valeurs une réalité.» 80

Des comités d’éthique ont la charge de mettre en  place des dispositifs de contrôle. Parmi, les attentes de l’entreprise, en voici une qui mérite attention : 

« Engagement politique
Nous reconnaissons le droit de nos collaborateurs de s’engager dans la sphère politique à titre personnel. Dans ce cas, ils sont tenus :
- de préciser clairement qu’ils ne représentent pas Total ;
- d’informer leur hiérarchie si leurs activités politiques sont susceptibles de créer un conflit d’intérêts. » 81

Est-il encore possible d’être un militant de Greenpeace en omettant de le déclarer à la direction de Total ? Ne pas informer sa hiérarchie dans le cadre de l’entretien d’évaluation tombe-t-il sous le coup de sanctions ?  De son côté dans un contexte de tensions extrêmes avec les mouvements écologistes, les mouvements de victimes, les populations vivant à proximité des sites industriels, et les salariés82, le groupe Vale interdit sous peine de sanction le prosélytisme politique au sein de l’entreprise :
“The following conduct is unacceptable and subject to disciplinary measures:
Allowing or promoting political, religious or commercial propaganda on the premises of the company.” 83

La morale, mot tabou dans les années 1990 à cause de sa connotation disciplinaire, refait surface dans les discours.
« Ethique et Compliance : la morale et son exercice
L’éthique consiste en l’application concrète de ce qui est moralement acceptable ou conforme aux valeurs dans une situation donnée. La compliance regroupe l’ensemble des dispositifs à mettre en œuvre pour parvenir à l’objectif de conformité. »84

Dans le même temps, l’entreprise renoue avec la formulation d’interdits aux sonorités proches des règlements d’ateliers patronaux du 19ème siècle en Europe.85 Ainsi peut-on lire sur une porte de salle anti-stress du groupe EDF qu’il est défendu « de jouer » dans le lieu de repos. Sur le même ton,des chartes « d’engagement sur les risques Plain Pied» sont promulguées pour éviter que les salariés ne se blessent :

« Au bureau, dans les couloirs, toilettes : je ne cours pas … Je ne téléphone pas en marchant (…) Je vérifie la présence éventuelle d’un obstacle avant d’entrer dans un local …». Est exigée la plus haute vigilance en toutes occasions : « J’analyse les conditions du sol (mouillé par exemple) pour adapter mon comportement. » 86

Mais cela va plus loin, au-delà du travail : sur le trajet pour y conduire, en vacances, en famille. Dans cette même charte le salarié doit s’engager sur d’autres points : « En partant de chez moi : je vérifie que mes chaussures sont adaptées aux conditions météo du jour. Je ne cours pas. Si je dois emprunter des escaliers, je tiens la rampe. » 87 Cette charte est accompagnée d’un quizz. Voici quelques questions (il est précisé qu’il faut répondre par oui ou par non)
- « J’ai passé une bonne nuit de sommeil »  (icône associée : une femme à l’air enfantin dort seule…)
- « J’ai parlé de mes difficultés professionnelles à mon médecin du travail » (icône associée : un médecin rédige une ordonnance …)
- « Je fais de la marche le week-end, c’est une activité à part entière » (icône associée : un père et une mère se promènent avec leur enfant …) 88


Des informations sur l’hygiène de sommeil sont envoyées par mail dans un style qui dépasse les bornes du ridicule (on apprend, par exemple, qu’une girafe a besoin de 2 heures de sommeil et un python de 18 heures)89 Des messages électroniques informent sur les dangers des sports de glisse et les consignes de sécurité à respecter. 90 Vivre « sainement » et régler sa vie privée pour être performant au travail, pour ne pas être stressé, pour éviter les arrêts de maladie, pour ne pas avoir d’accident du travail et pour ne pas en causer dessinent la figure rêvée de l’homme au travail : un salarié-enfant dépolitisé qui accepte d’endosser individuellement toutes les responsabilités et qui, se détourant des collectifs de luttes et naturellement des syndicats, avale des pilules en cas de « difficultés ». Il fait pendant à la figure rêvée de la responsabilité sociale de l’entreprise pesant de plus en plus lourdement sur ceux qu’elle emploie. On sait sur quelle pente mènent les tendances à l’hygiénisme et à la moralisation des masses et on n’aurait tort d’y voir une contradiction avec les principes néolibéraux. La dureté morale d’Hayek n’est pas voilée : « La morale présuppose un effort résolu vers l’excellence, et que l’on reconnaisse que certains y réussissent mieux que d’autres … »,  « Mais moralement une personne qui contrevient aux règles doit être comptée comme persona non grata même si elle ne sait mieux faire. » 91


La morale d’entreprise, y compris parce qu’elle prend cette forme grotesque  risque de ne pas être prise au sérieux. Or, elle fait partie intégrante du processus d’individualisation de la relation salariale,92 de privatisation des problèmes sociaux et de dépolitisation de la question sociale. Elle est en parfaite cohérence avec le projet d’expansion du marché autorégulé et de limitation de la démocratie. Qu’elle provoque du déplaisir n’est vraiment pas le problème, ce qu’il faut c’est qu’elle produise de la soumission. La nouvelle organisation du travail réduit les ressources permettant aux collectifs de travailler mais aussi de lutter. La dérégulation des rapports sociaux est la cause d’une insécurité existentielle qui fait l'objet de récupérations. Les appels à l'ordre moral, s'alimentent de ces dérèglements vécus douloureusement. L’éthique managériale montre son vrai visage : hygiéniste, disciplinaire, liberticide.


Cette solution est susceptible de séduire les responsables politiques. Soucieux « d’humaniser » l’économie, ils se satisferaient de la combinaison entre l’ordre du marché et l’ordre moral. Refusant de réinterroger les principes de l’entreprise néolibérale, il s’agit alors de laisser-faire voire de légitimer les dispositifs managériaux destinés à enserrer un peu plus le travail dans une bureaucratie éthique. Dans ce contexte, les dirigeants peuvent être rétifs à la prise en compte réelle des risques psycho-sociaux et à la politisation de cette question. Il n’est pas certain d’arriver à les convaincre que la moralisation du capitalisme n’a aucune chance de colmater quoique ce soit et que la moralisation de la société est pire que le mal puisqu’elle ne fait que le redoubler.

 

Conclusion


Le néolibéralisme permet-il d’améliorer l’art de gouverner comme il semble le promettre ? Une société reposant sur l’acceptation du déplaisir pour le plus grand nombre est-elle tenable ? Le déplaisir peut-il provoquer de l’affection à l’égard de ceux qui auraient les moyens d’aider à le combattre et ne font rien? L’humiliation n’attise-t-elle pas la haine ? Un Etat qui la laisserait se développer serait-il gouvernable ? Machiavel et une longue tradition politique après lui, parlent un langage fort différent de celui d’Hayek et répondent en partie à ces questions lorsqu’ils affirment que la meilleure forteresse au monde est l’affection du peuple.
La société abstraite, la démocratie limitée et le marché illimité, comme nous l’avons vu, n’ont aucuns moyens pour satisfaire « les besoins émotionnels, personnels ». Il est évident qu’ils exacerbent des frustrations majeures d’autant plus qu’elles sont excitées par une concurrence généralisée. Cette socialité concurrentielle qui dépasse aujourd’hui la sphère du travail, peut museler ponctuellement les contestations. Mais, c’est un socle instable. Les gouvernants peuvent moins compter sur la loyauté des citoyens que sur leur résignation muette. Cela signifie aussi que la conservation du pouvoir dépend de la force dissolvante du marché. Or, la force comme l’expliquent d’autres philosophies politiques est instable. Ainsi que le disait très justement Rousseau: « S’il faut obéir par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir ; et si l’on est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé.»93 On peut douter que la société abstraite soit durable. Sous cette forme ou sous une forme approchante, elle n’a jamais apporté la preuve historique de sa longévité.


Notes
1 P. Chaunu, La civilisation de l’Europe des Lumières, Flammarion, Paris, 1982, p.9.
2 R. Descartes, Les passions de l'âme, Librairie Philosophie J. Vrin, Paris, 1970, p.63.
3 C-A. Helvetius, Système de la nature, Oeuvres complètes de M. Helvetius,  tome 4, préface de J-A. Naigeon, éditeur A Londres, 1777, p.4.
4 C-A. Helvetius, De l’esprit, Oeuvres complètes de M. Helvetius,  tome 2, préface de J-A. Naigeon, éditeur A Londres, 1777, p. 45.
5A. O. Hirschman, Les Passions et les intérêts – Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, traduit de l’anglais par P. Andler, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p.48.
6 Montchrestien vérifier l’édition c’est peut-être celle de Brentano, p.11
7 P.18
8 Aristote, Economique, texte établi par B.A. van Groningen et A. Wartelle, traduit et annoté par A. Wartelle, Société d’édition Les belles lettres, Paris, 1968.
9 Xénophon, L’économique, Œuvres de Xénophon 2, Traduction, notices et notes par P. Chambry, Garnier Frères, Paris, 1967.
10 Montchrestien  Idem p. ?
11 P.12
12 P12
13A.  Montchrestien, Traicté de l'économie politique, dédié au Roy et à la Reyne mère du Roy, par Antoyne de Montchrétien, sieur de Vateville, monographie imprimée, sd,  p.54.
14 Idem, p.58.
15 L., Vauvenargues, Introduction à la connaissance de l’esprit humain, dans Oeuvres complètes de Vauvenargues. Tome 1, précédées d'une notice sur sa vie et ses ouvrages et accompagnées des notes de Voltaire, Morellet et Suard. Nouvelle édition, éditeurs Brissot-Thivars, Paris, 1827, p.95.
16 Hume cité par A. O. Hirschman, Les Passions et les intérêts – Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, traduit de l’anglais par P. Andler, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p.53.
17 A. O. Hirschman, Les Passions et les intérêts – Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, traduit de l’anglais par P. Andler, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p.116.
18 Ajouter des éléments sur les physiocrates
19 Idem, p.117.
20 Idem, p.255.
21 A. O. Hirschman, Les Passions et les intérêts – Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, traduit de l’anglais par P. Andler, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p.9.
22 D. Guignard, La notion d’uniformité en droit public français, préface de S. Regourd, Dalloz, paris, 2004, p.255.
23J. Habermas, L’espace public, avec une préface inédite de l’auteur, traduction de M. B. de Launay, Payot, Paris, 1990, p.105.
24 Montesquieu, L’esprit des lois, vol. 2, Garnier Frères, Paris, sd, pp. 8-9.
25 Voir sur cette question D. Guignard, La notion d’uniformité en droit public français, préface de S. Regourd, Dalloz, paris, 2004.
26A.-R.-J. Turgot,  Oeuvres posthumes de M. Turgot, ou Mémoire de M. Turgot sur les administrations provinciales, mis en parallèle avec celui de M. Necker, suivi d'une Lettre sur ce plan et des Observations d'un républicain sur ces mémoires et en général sur le bien qu'on doit attendre de ces administrations dans les monarchies, éditeur s.n., Lausanne, 1787, p.9.
27 Idem, p.14.
28 Idem, p.15-16.
29 Idem, p.12
30 Idem, p.13.
31 V. Campagne, Les mœurs, Satire III, 1797.
32 (Suite à une coupe dans le corps de ce texte déjà très long, les notes de 32 à 39 ont été conservées pour des raisons de mise en page) Condorcet, cité par G. Darcy, “ Unité et rationalité dans la construction révolutionnaire ”, in Moreau J. et Verpeaux M. (dir.), Révolution et Décentralisation, Economica, Paris, 1992, p.70.
33 Littré dans Dictionnaire de la langue française (1873-1874)
34 Gossin, (député de la province du Barrois), Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; 8-17, 19, 21-33. Assemblée nationale constituante. 10. Du 12 novembre 1789 au 24 décembre 1789 / impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés ; sous la dir. de M. J. Mavidal et de M. E. Laurent, éditeur P. Dupont, Paris, 1875-1889. 21 décembre 1789, p.704.
35 A. Tocqueville, Quinze jours au désert, dans Oeuvres complètes d'Alexis de Tocqueville. T. 5 / publ. par Mme de Tocqueville et Gustave de Beaumont, éditeur Michel Lévy frères, Paris, 1864-1866, p. 183.
36 Idem, p.183.
37 G. Tarde,  Les Lois de l'imitation, étude sociologique, éditeur  F. Alcan, Paris, 1895, pp.332-333.
38 E. Durkheim, De la division du travail social : thèse présentée à la Faculté des lettres de Paris par Émile Durkheim, éditeur F. Alcan, Paris,1893, pp.145-146-147.
39 Proudhon, P.J., De la Création de l'Ordre dans l'Humanité ou Principes d’organisation politique, dans Oeuvres complètes. Tome 3, éditeur A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Paris, 1850-1871, p.213.
40 M. Friedman, Capitalisme et liberté, traduit de l’anglais par A. M. Charno, préf. de G. Koenig, Flammarion, Paris, 2016, pp.40-41
41 Idem, p.54.
42 C. Gide, C. Rist, Histoire des doctrines économiques - Depuis les physiocrates à nos jours 1926, Librairie du recueil Sirey, 1926, pp.382-383.
43 Idem, p.385.
Idem, p.383
44 Sur l’évolutionnisme contemporain : voir J. Monod, Le hasard et la nécessité -Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Editions du Seuil, Paris, 1970. 
45 F.A. Hayek, L’ordre politique d’un peuple libre, dans Droit, législation et liberté - Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, vol. 3. traduit de l’anglais par A. Audouin, Presses Universitaires de France, Paris, 1983, p.167 et p.147.
46 Idem. p.171.
47  Idem,p. 164.
48 C. Laval, Démocratie et néolibéralisme, Institut de Recherches de la FSU,  http://institut.fsu.fr/Democratieetneoliberalismepar.html 16/01/2011.
49 M. Crozier, S. Huntington, J. Watanuki, The Crisis of Democraties. Report on the Governability of Democraties to the Trilateral Commission, New York, University Press, 1975.
50 F.A. Hayek, L’ordre politique d’un peuple libre, dans Droit, législation et liberté - Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, vol. 3. traduit de l’anglais par A. Audouin, Presses Universitaires de France, Paris, 1983, p.106.
51 Idem, p.122.
52 Idem, p.40.
53 Idem, p.146.
54 Idem, p. 168-169.
55 Idem, p.162.
56 Idem, p.113.
57 Idem, p.195.
58 Idem, p.195.
59 Idem, p.194.
60 Idem, p.89.
61 Idem, p.89.
62 Idem, p.185.
63 Idem, p.196.
64 Idem, p.175.
65 Idem, p.91.
66 Idem, p.111.
67 Idem, p.81.
68 V. De Gaulejac,  La société malade de la gestion, Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Seuil, 2005, p.82.
69 R. Sennett, La culture du nouveau capitalisme,  traduit de l’anglais (Etats-Unis) par P-E. Dauzat, Albin Michel, Paris, 2006.
70 P. Bardelli, « Conclusion générale», dans Bardelli P., Allouche J. (dir), La souffrance au travail – Quelle responsabilité de l’entreprise ? Armand Colin, Paris, 2012, p.364.
71 Une version plus longue de cet entretien a été publiée dans A. Salmon, Les nouveaux empires - Fin de la démocratie ? CNRS Editions, Paris, 2011, p.63.
72 C. Dejours, Travail usure mentale, Bayard Editions, 1993, p.129.
73 B. Hibou, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, Paris, 2012.
74 M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Gallimard-Le Seuil, Paris, 2004, p.32.
75 B. Hibou, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, Paris, 2012, pp.19-20.
76 Boussard, V., Sociologie de la gestion – Les faiseurs de performance, Belin, 2008, p.20.
77 Groupe Vale, Code of ethics,  www.vale.com/EN/aboutvale/ethics-and-conduct-office/code, p.7.
78 Idem, p.4.
79 En France, le Tribunal de grande instance de Nanterre (2ème chambre) par un jugement rendu le 03 Février 2012 a déclaré nul le «Code Ethique» d’Exxon Mobile. Au regard du caractère contraignant du document, il a invalidé le texte en raison du « défaut de respect de la procédure applicable en cas d’adjonction au règlement intérieur de l’entreprise ».  Les syndicats à l’origine de ce procès par lequel l’entreprise a été déboutée, ne sont donc pas impuissants face à ces injonctions qui font l’objet de législation visant à les encadrer.
80 www.total.com
81Groupe Total, Code de conduite, www.total.com/sites/default/files/atoms/files/total_code_de_conduite_vf.pdf, p.13
82 Ainsi que le rapporte Fabíola Ortiz dans Le courrier international : « Selon l'organisation Articulation internationale des victimes de Vale (AIVV), qui regroupe 30 mouvements sociaux au Brésil, en Argentine, au Canada, au Chili et au Mozambique, Vale aurait causé en 2010 des dégâts sur l'équivalent d'une superficie de 741,8 km². La société est accusée d'avoir émis, la même année, 89 millions de tonnes de dioxyde de carbone et 6 600 tonnes de particules en suspension, soit 29 % de plus par rapport à 2009. L'émission de dioxyde d'azote a été de 110 000 tonnes en 2010, soit 30 % d'augmentation en un an. Et celle du dioxyde de soufre a atteint les 403 000 tonnes, 25 % de plus qu'en 2009. Ce sont des chiffres officiels figurant en bonne place dans le rapport sur le développement durable 2010 de Vale. […] « Au Canada, la tentative de Vale de changer radicalement sa relation avec les travailleurs et les syndicats a provoqué les grèves les plus longues de l'histoire du pays", souligne Andressa Caldas. Elles ont duré onze mois, entre 2009 et 2010, à Sudbury et Port Colborne, dans la province de l'Ontario, au sud-est du pays, et dix-huit mois à Voisey's Bay, dans la province orientale de Terre-Neuve-et-Labrador. »
F. Ortiz, « Environnement. Le lourd bilan écologique du groupe minier Vale », Courrier International, 24/05/2012, www.courrierinternational.com/.../le-lourd-bilan-ecologique-du-groupe-minier-vale
83 Groupe Vale, Code of ethics,  www.vale.com/EN/aboutvale/ethics-and-conduct-office/code, p.6.
84 Groupe GDF Suez, Les règles d'éthique de GDF SUEZ www.gdfsuez.com/groupe/ethique-et-compliance/
85 En témoigne cet  extrait du règlement de la filature de Wezemmes, Nord, 1854 : «Défense de chanter, danser, crier, disputer, se battre, coudre, tricoter dans les ateliers, et d’y tenir des propos contraires aux bonnes mœurs.» A. Biroleau, Les règlements d’ateliers 1798-1936, BNF, Paris,1983, p.17.
86 Groupe EDF,  Charte d’engagement sur le risque Plain Pied, EDF Group H&S community, Kit Plain pied 2013.
87 Idem.
88 Groupe EDF, Et moi, qu’ai-je fait contre le risque plain-pied, aujourd’hui ???,  Quizz associé à la charte sur le risque plain-pied 2013.
89  Groupe EDF, Boîte à outils plain-pied, 2013, p.1.
90 Groupe EDF, Messages sécurité : sports de glisse … quels accidents ? Messages sécurité : Sports de glisse … Quelle prévention ?
91 F.A. Hayek,  Droit, législation et liberté - Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, vol. 3. L’ordre politique d’un peuple libre, traduit de l’anglais par A. Audouin, Presses Universitaires de France, Paris, 1983, p. 204-205.
92 M. Lallement, Le travail – une sociologie contemporaine, Gallimard, 2007. pp.139-140. Où le sociologue  doute que la « révolution managériale », notamment à travers le thème de la compétence,  puisse être interprétée comme la satisfaction des revendications syndicales « en faveur de la reconnaissance des capacités réelles des salariés. »
93 J-J. Rousseau, Du contrat social ou principes du droit politique, Classiques Garnier, Paris, sd, p.238.
94 L. De Broglie, La physique nouvelle et les quanta, Enerst Flammarion, Paris, 1937, p.VII-VIII
95 J. Monod, Le hasard et la nécessité – Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Seuil, Paris, 1970, p.210.
96 F.A. Hayek,  Droit, législation et liberté - Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, vol. 3. L’ordre politique d’un peuple libre, traduit de l’anglais par A. Audouin, Presses Universitaires de France, Paris, 1983, p.189.
97 Idem, p.189.
98 Idem, p.196.
99 Idem, p.189.
100 Idem, p.193.
101 L. von Mises, cité par Hayek, idem, p.79.
102 W. Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, traduit de l’allemand par U. Karvelis et A. E. Leroy, introduction par C. Chevalley, Gallimard, Paris, 2000, p. 141.
103 E. Schrödinger, Physique quantique et représentation du monde, Introduction et notes par M. Bitbol, Seuil, Paris, 1992, p. 44.
104 J. Dewey, La quête de certitude – Une étude de la relation entre connaissance et action,  traduit de l’anglais (Etats-Unis) par P. Savidan, Gallimard, Paris, 2008, p.28.
105 J.R. Oppenheimer, La science et le bon sens, traduit de l’anglais par A. Colnat, Gallimard, Paris, 1955, p. 134.
106 Idem, p.121.
107 C. Chevalley, Introduction, in N. Bohr, Physique atomique et connaissance humaine, traduction de l’anglais par E. Bauer et E. Omnès revue par C. Chevalley, édition établie par C. Chevalley, Gallimard, Paris, 1991, p.104.
108 N. Bohr, Physique atomique et connaissance humaine, traduction de l’anglais par E. Bauer et E. Omnès revue par C. Chevalley, édition établie par C. Chevalley, Gallimard, Paris, 1991, p.183
109 Voir à ce propos le chapitre « L’impact spirituel de la science », E. Schrödinger, Physique quantique et représentation du monde, Introduction et notes par M. Bitbol, Seuil, Paris, 1992, p. 22 et suivantes.
110 Idem, pp. 24-25.
111 I. Prigogine, I. Stengers, La nouvelle alliance - Métamorphose de la science, Gallimard, Paris, 1986, p. 97